
Pendant longtemps, la ville appartenait aux hommes. Si c’est important de commémorer ceux qui ont fait notre Histoire, il ne faut pas non plus oublier de mettre aussi dans nos rues les grandes femmes de Montréal !
Cet été, j’ai découvert un puits sans fond en préparant un article pour t’aider à te repérer dans les rues de notre chère cité – crois-le ou non, ça m’a bien été utile lors de mes déambulations forcées en Bixi ces derniers temps, loin de mon métro familier… Je suis tombée sur cette carte interactive du projet Montréal, ville de femmes. Cette carte, composée par la chercheuse Chantal Ringuet, propose de découvrir au long des rames du métro 73 femmes qui ont compté pour Montréal. Un beau moyen de mettre en avant ces noms féminins si facilement oubliés par les mémoires…
Alors nous aussi, partons faire une petite marche pour saluer celles qui ont contribué à la richesse de Montréal, du Québec et du Canada !
Rues et Parc Jeanne-Mance
Commençons par le commencement, Jeanne Mance fait partie de ces noms que tu connais vaguement. Ah oui, c’est pas elle qui a cofondé Montréal ? Bingo ! Mais dis-toi que cela ne fait que depuis 2012 que Jeanne Mance est officiellement reconnue pour son rôle important dans la formation de la colonie Ville-Marie qui deviendra Montréal. Pendant des siècles, seul Paul Chomedey de Maisonneuve était le fondateur officiel de la ville. Et pourtant !
Jeanne naît en 1606 dans l’Est de la France. Son père est procureur du roi, mais au décès de ses parents, Jeanne doit travailler pour assurer la subsistance de ces nombreux frères et nombreuses soeurs, elle devient soignante. Fréquentant des missionnaires partis sur les terres de la Nouvelle-France, elle est mise en contact avec Angélique Faure de Bullion, une riche philanthrope qui souhaite fonder un hôpital dans les nouvelles colonies.
C’est en 1641, à 35 ans, que Jeanne arrive à Québec, et en 1642 est construite la première bâtisse de Ville-Marie, non loin de l’emplacement de Pointe-à-Callière. Plus que simple soignante, Jeanne Mance est une gestionnaire. C’est elle qui convint en 1653 Paul Chomedey de Maisonneuve de repartir en France recruter de nouveaux colons. La colonie actuelle ne compte alors plus qu’une cinquantaine d’habitants, tous et toutes épuisées par les conditions difficiles d’établissement. Appelé la Grande Recrue, 177 colons arrivent pour repeupler durablement Montréal, sauvant la colonie. Jeanne Mance s’éteint en 1673 après une vie de service.
Femme tellement importante, qu’en plus d’un parc au pied du Mont-Royal, plusieurs rues sur l’île portent son nom. D’ailleurs, lorsque tu te promèneras dans le parc Jeanne-Mance, lève les yeux vers l’Hôtel-Dieu de Montréal, un des premiers hôpitaux du continent ! Ces bâtiments datent de la fin du XIXe siècle, les constructions d’origines ont aujourd’hui disparus, mais le corps de Jeanne repose encore dans la crypte de l’Hôtel-Dieu, selon les dernières volontés d’une des grandes femmes de Montréal.

Place Marguerite-Bourgeoys
On ne peut par parler de Jeanne sans parler de Marguerite, une autre des grandes femmes de Montréal !
Marguerite Bourgeoys est née en 1620 dans l’Est de la France (elle aussi). Religieuse, elle est une connaissance de Louise de Chomedey de Sainte-Marie qui n’est autre que la soeur de ce bon Paul Chomedey de Maisonneuve. Lors du retour de Maisonneuve en France pour la Grande Recrue en 1653, Marguerite se joint à lui avec pour mission d’ouvrir la première école dans la colonie.
Elle sera impliquée avec Jeanne Mance dans la gestion des ressources de Ville-Marie, la future Montréal. Elle accueillera les fameuses Filles du Roy, c’est même elle qui les nomme ainsi pour la première fois. Entre 1663 et 1673, c’est presque 800 femmes et jeunes filles qui traversent l’Atlantique sous la tutelle et protection du roi Louis XIV pour peupler la Nouvelle-France.
En 1655, Marguerite est à l’origine de la construction de la Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours, toujours sur debout d’ailleurs juste à côté du dôme du Marché Bonsecours, avec sa statue tournée vers le Vieux-Port pour saluer les marins. Cette chapelle abrite d’ailleurs le Site historique Marguerite Bourgeoys, très chouette à visiter.
Marguerite est également associée à l’iconique Croix du Mont Royal ! En 1643, Maisonneuve (encore lui) avait érigé une croix en bois en haut de la colline. La croix fut abattue par les autochtones en conflit avec les colons qui envahissaient leur territoire, et en 1653, Marguerite et quelques charpentiers vont replanter une croix, instaurant un symbole encore associé à Montréal aujourd’hui.
Il existe ainsi une petite place Marguerite-Bourgeoys non loin de l’hôtel de ville, mais surtout très proche de la récente Place des montréalaise qui célèbre les noms des grandes femmes de Montréal !

Parc Thérèse-Casgrain
Plus contemporaine, il faut que je te parle de Thérère Forget Casgrain !
Thérèse naît en 1896 dans une famille fortunée de Montréal. Elle reçoit une éducation bourgeoise qui la destine avant tout à être une épouse et mère de famille. En 1916, elle épouse Pierre-François Casgrain, un avocat qui se lance dans une campagne électorale. En 1918, elle accompagne son mari à Ottawa, et se découvre une vocation pour la politique. C’est alors une époque de grands changements puisque l’Ontario vient d’accorder le droit de vote aux femmes, chose toujours impensable au Québec.
De retour au Québec, Thérèse milite pour le mouvement suffragette, elle cofonde même le Comité provincial pour le suffrage féminin, mouvement qu’elle va présider pendant des décennies. Le droit de vote des femmes au Québec, c’est un combat politique que Thérèse va mener jusqu’en 1940, lorsque les femmes obtiennent enfin gain de cause.
Mais au-delà du droit de vote, c’est l’égalité que cherche Thérèse Forget Casgrain. Bien ancrée dans la vie publique de la province, elle est vite une figure d’influence pour réformer le statut des femmes, leur droit de travailler, gérer leur salaire ou encore toucher leur héritage…
Une vraie voix féministe qui a même été diffusée à la radio puisque Thérèse a animé dans les années 1930 et 40 des émissions qui abordaient directement ces questions parfois taboues.
Thérèse mena ainsi de front une riche vie politique contre toute forme d’injustice sociale, rien ne peut l’arrêter. Pour te donner une idée du personnage extraordinaire qu’elle était, en 1970, elle est nommée sénatrice, mais ne peut y siéger que 9 mois puisque l’âge limite des sénateurs est de 75 ans. Un journaliste lui fait remarquer et elle lui aurait répondu : « Vous seriez surpris, jeune homme, de ce qu’une femme peut faire en neuf mois. » Répartie sublime !
Aujourd’hui, un parc au pied du Mont-Royal porte son nom pour qu’on n’oublie pas le combat d’une des grandes femmes de Montréal.

Rue Pauline-Julien
Autre femme de voix, Pauline Julien est une légende du Québec ! Née en 1928, cette artiste aura marqué les esprits de plusieurs générations. Chanteuse, mais également autrice et actrice, elle a interprété les paroles des plus grands (Gilles Vigneault, Léo Ferré, Boris Vian…)
Très vite, Pauline a soif de liberté et de voyage, elle part dans sa jeunesse avec plusieurs troupes de théâtre et vit notamment en France. Dans les années 50, Pauline trouve sa voie avec le chant et très vite elle se fait un nom à Paris.
En 1960, Pauline revient au Canada et rencontre le journaliste et poète engagé Gérald Godin, l’amour de sa vie. Le couple portera haut et fort leur conviction indépendantiste, Gérald devenant même député pour le Parti québécois. Pauline refusera de chanter en 1964 devant la reine Élisabeth II alors qu’il était rare de voir une artiste francophone recevoir ce genre d’invitation.
Dans les années 1970, Pauline est au sommet de la gloire et s’implique dans tous les combats qui comptent pour elle comme la cause féministe. On la dit entêtée, femme de caractère et surtout, d’un grand magnétisme sur scène.
Montréal n’a qu’une petite rue à son nom, l’endroit parfait pour fredonner loin du tumulte de la ville « Ce soir, j’ai l’âme à la tendresse…«

La ville de Montréal continue ce long processus de rajouter ce féminin si essentiel à nos espaces communs. Que ce soit par le nom des futures stations de la ligne bleue ou par l’initiative Toponym’Elles, intéressons-nous à ces grandes dames en espérant que d’autres suivront.
